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La nouvelle solitude

La nouvelle solitude

José Martinho[1]


« Me voici donc seul sur la terre” : c´est la phrase qui ouvre les « Rêveries d´un promeneur solitaire ».[2]
Bien sûr, Jean-Jacques Rousseau n´a jamais été seul sur la terre. Il y a toujours eu d´autres autour de lui, en particulier, et à l´époque, ceux qu´il croit le persécuter dès la publication de l´ « Émile ». Il y a surtout eu l´Autre du langage, car quand on parle ou écrit on n´est pas seul.
En vérité, la phrase fantasmatique du rêveur solitaire dérive du déclenchement de sa psychose paranoïaque. Mais elle peut aussi nous renvoyer au dernier enseignement de Lacan, au « rien n’est que rêve », au « tout le monde […] est fou c’est-à-dire délirant »[3]. On retrouve ici la solitude contemporaine attachée à ce que Jacques-Alain Miller a appelé l´ « Un tout seul »[4].
Dans la phrase d´ouverture des Rêveries, c´est la conjonction « donc » que mène à la conclusion logique du rejeté-rejet de la famille, de la société. Le signifiant familier ainsi forclos retourne alors au réel, à la nature, écrit Rousseau, nous donnant à lire, en reste, le vide du sujet.[5]
Émile solitaire n´est pas sans objet. C´est pour contrer l´angoisse qu´il va écrire à l´adresse du père symbolique, son précepteur mort : « Je suis seul, j’ai tout perdu, mais je me reste, et le désespoir ne m’a point anéanti ». L´orphelin enchaine alors sur le destin de la lettre qu’anime encore son parlêtre : « ces papiers […] périront sans avoir été vus d’aucun homme, mais n’importe, ils sont écrits, je les rassemble, je les lie, je les continue ».
La suite du texte sur ces papiers – « c’est à vous que je les adresse »[6] - va au-delà le père disparu, car fait forcément appel au futur lecteur, que peut être celui de la littérature moderne (nommément à celle de l´ego joycien), mais aussi, pourquoi pas, le lecteur du symptôme dans l´analyse d´orientation lacanienne.

 

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[1] Ph. D. Philosophie ; Psychologie. AP NLS/AMP/ACF-Portugal. Este endereço de email está protegido contra piratas. Necessita ativar o JavaScript para o visualizar.
[2] Cf. Martinho, J. “Rousseau”. O que é um pai? Assírio & Alvim. Lisboa, 1990, p. 11-49.
[3] Lacan, J. « Pour Vincennes !». Ornicar ? n°17/18, Paris, Navarin, printemps 1979, p. 278.
[4] Miller, J-Alain: https://jonathanleroy.be/wp-content/uploads/2016/01/2010-2011-LUn-tout-seul-JA-Miller.pdf
[5] Rousseau, J-J. Œuvres Complètes. Paris. Plêiade, tome 1, 1959. pp.414, 415, 416, 444, 999. 1001, 1075.
[6] Rousseau, J-J. Op.cit. p. 882.